La pièce était sombre, uniquement garnie d’une table et de deux chaises.  Je savourais un cappuccino, attendant que quelque chose bouge, que quelqu’un entre ou m’interpelle.  Je posais ma tasse sur la table et repoussais une mèche de cheveux derrière mon oreille.  Une odeur étrange parvenait à mes narine mais je ne parvenais pas à l’identifier.   Peu importe je réessayerai plus tard, pour l’instant j’ai d’autres chats à fouetter.  Un homme vient d’entrer, dossier à la main, des lunettes vintages comme on en voyait dans les années soixante vissées sur le nez.  J’aurais pu lui poser des questions quand il s’est assis face à moi, lui demander ce que je faisais là par exemple… Mais je ne l’ai pas fait, ça ne m’a même pas traversé l’esprit.  J’ai attendu qu’il s’installe, l’ai regardé fouiller dans ses papiers en réajustant ses lunettes et en fronçant les sourcils comme s’il avait du mal de lire correctement malgré elles.

Dalstein… C’est bien ça ?


Je hochais la tête tranquillement, de façon quasi imperceptible.


Parfait.  Alors heu… Parlez moi un peu de votre enfance, de l’endroit où vous êtes née, de vos parents…

Je suis née à Devon, en Angleterre.  Mon père est mécanicien et ma mère travaille comme domestique pour une riche famille qui a des accointances avec la famille royale.  Bref elle bosse dur pour un salaire ridicule, tout ce que je ne veux pas reproduire.

Vous avez honte ?

Bien sûr que non, ne soyez pas ridicule !  Mais j’ai décidé de suivre une autre voie.  D’ailleurs elle m’encourage, elle m’a toujours dit que je valais mieux que ça, que je devais me battre pour ne pas avoir à craindre les fins de mois difficile.

Et votre père, qu’est-ce qu’il en dit ?

Mes parents ont divorcé quand j’avais huit ans et… Disons que papa et moi ne nous entendons pas si bien que ça.  Il s’est remarié avec la cause de leur rupture à maman et lui, pas vraiment le genre de femme qui brille par son élégance.


Je fronçais le nez et buvais une nouvelle gorgée de cappuccino.  Installée droite et fière sur ma chaise, je croisais les jambes et lissais le jupon de ma robe d’un air absent.


Diriez-vous que vous étiez pauvre ?

Non, pas pauvre.  Modeste est plus exact.  La classe moyenne qui se débat pour ne pas sombrer dans la pauvreté.  On ne manquait de rien mais on ne faisait pas de folies, quant aux vacances…  Elles étaient rares et on ne quittait jamais le pays.  Ma mère découpait tous les coupons qu’elle trouvait, on s’habillait aux soldes, c’était le règne de la débrouille pour faire des économies.

Et à l’école, ça se passait comment ?

Bien, j’avais de bonnes notes.  Je ne vais pas dire que j’aimais ça, mais je suis le genre de fille curieuse qui aime s’intéresser à tout.  J’ai tendance à penser que l’ignorance est un fléau, notre pire ennemi.  Savoir de quoi on parle, de quoi les autres parlent, c’est une vraie force.  J’ai la chance d’être jolie, mais je ne vais pas me contenter de ça.  J’ai un cerveau, autant s’en servir non ?

Pourtant ça n’est pas par les études que vous avez décidé d’améliorer votre train de vie.

Et pourquoi je ferais ça alors que j’ai une autre option plus simple ?  Vous savez j’ai vu ma mère terriblement malheureuse quand mon père l’a trompée, alors je n’ai pas vraiment envie de vivre la même chose.  Tomber amoureuse est quelque chose que je ne souhaite pas, c’est bien trop dangereux.  Encore une fois je suis jolie, j’ai de bonnes manières, du plomb dans la cervelle… Les hommes riches ont besoin d’une femme telle que moi à leur côté, une femme qui ne va pas leur demander de lui être fidèle parce qu’elle s’en fiche, qui les accompagnera dans les dîners mondains et séduira son entourage par une attitude appropriée.  C’est du donnant donnant, comme un contrat.  Autant être pragmatique, croyez-moi on y gagne !

Si vous le dites.  Parlez-moi de Maximilian Wilde…  Je vois dans votre dossier qu’il a quelque peu… Remué votre existence.


Cette fois je perdais l’air serein que j’affichais depuis le début de cette entrevue.  Je fronçais le nez, comme à chaque fois que ce souvenir était évoqué.  Malgré le temps qui était passé, malgré tout ce qui s’était passé dans ma vie depuis qu’il était parti, repenser à notre histoire me faisait toujours aussi mal.  C’était d’autant plus difficile que je faisais tout pour ne pas le montrer.


C’est de l’histoire ancienne.

Je sais, mais parlez-moi quand même de ce qui vous a liés.

On se voyait de temps en temps, c’était juste une histoire de sexe, rien de plus.  Ca s’est arrêté quand il s’est fiancé.  Il n’y a rien d’autre à dire.


Je sais, je mens très mal.  La vérité c’est qu’il me plaisait plus que je ne voulais bien l’admettre et que ça, ça n’était pas prévu au programme.  Je savais que je me mettais en danger, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir envie de le voir, de chercher sa compagnie.  Aucun homme n’avais jamais provoqué ce genre de chose chez moi, je pensais être blindée pour éviter que de tels sentiments surgissent.  Et un jour il m’a donné rendez-vous dans un café pour m’annoncer qu’il allait se fiancer.  Dans un sens, ça me permettait de mettre fin à cette histoire sans avoir d’autre choix, mais croyez-le ou non cette histoire m’a brisé le coeur.  J’ai joué l’indifférente, celle qui n’en a rien à foutre et je suis partie, sans me retourner histoire qu’il ne voie pas les larmes que je ne pouvais retenir de couler.  Après ça je voulais lui faire mal, comme il me faisait mal.  Voir cette pimbêche bien née à son bras me rendait malade, je voulais être à sa place, être celle avec qui il s’affichait.  Alors je me pavanais au bras de riches hommes que je choisissais soigneusement, tous amis de Maximilian.


Est-ce que vous le voyez encore maintenant ?

Bien sûr que non !

C’est dommage, n’est-ce pas ?

Pourquoi me dites-vous ça ?

Parce que j’ai l’impression que votre vie actuelle ne vous convient pas.  La vie est courte, elle peut s’arrêter à tout instant.  Il suffit de glisser et de se cogner la tête et tout est fini.  J’ai tendance à penser qu’il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier pour ne rien avoir à regretter.


Que répondre à ça ?  Je crois qu’il n’attendait aucune réponse de toute façon, son but était de me faire réfléchir et pour le coup je crois qu’il a réussi.  Je le regardais remettre le capuchon de son stylo et refermer son dossier avant d’en claquer l’arrête sur la table d’un geste machinal.  


Fermez les yeux à présent, juste quelques secondes.


Sans poser d’autre question, je m’exécutais et fermais les paupières lentement.  Rien ne semblait se passer autour de moi, je n’entendais pas l’homme refermer la porte derrière lui.  Alors je rouvrais les yeux, les fixant sur un plafond blanc à moulures.


Enfin réveillée ?

Je tournais la tête vers la voix familière de celui qui était mon mari depuis un peu plus d’un an.  Un vieil ami de Maximilian que j’ai épousé lors d’un mariage époustouflant en Toscane.  J’avais le nom, j’avais l’argent, mais étais-je pour autant heureuse ?  Je me frottait la tête, étouffant un cri de douleur.


Doucement, tu es tombée et tu t’es fait un sacré bleu à la tête !


C’était donc ça, une chute qui m’avait laissée inconsciente quelques minutes, le temps d’un songe.  Cet homme, c’était sans doute mon inconscient qui tenait à me réveiller d’une toute autre façon.  Mais que pouvais-je faire à présent ?  Pendant que mon mari allait me chercher un verre d’eau, je contemplais mon alliance et ma bague de fiançailles avec mélancolie.  La vie est courte, c’est vrai, mais est-on vraiment maître de son destin ?  Je l’ignore… Mon inconscient ne m’a pas donné de réponse à cette question.

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