maman.
pourquoi t'es morte, maman ?
pourquoi tu m'as laissée seule, avec lui ? pourquoi tu m'as laissée me détruire ? pourquoi tu l'as laissé me faire ça ? pourquoi tu pensais que ça allait aller ?
il m'a frappée, maman. il disait que c'était de ma faute, si tu n'étais plus là. il disait que tu étais sortie pour moi. et donc, que c'était à cause de moi que tu n'étais plus là.
c'est vrai, dis, maman ?
j'ai encaissé les coups sans rien dire. je me suis tue, maman. je faisais tout ce que je pouvais pour qu'il m'aime.
parce que je l'aimais, moi, papa. même si il était con, même si quand je rentrais il était toujours défoncé, même s'il me tapait. moi j'l'aimais.
pourquoi je l'aimais, dis ? pourquoi je l'aimais alors que lui il me détestait ?
je l'aimais tellement que je n'ai rien dit à personne. je disais que j'étais tombée dans les escaliers, je mettais des vestes en été, je cachais mes ecchymoses du mieux que je pouvais. j'étais battue, j'étais toujours tue. je ne voulais pas que quelque chose arrive à papa, même s'il le méritait.
quand je sortais trop tard, quand il buvait trop, quand j'avais une note trop basse, quand les bouteilles étaient écoulées, quand je ne faisais pas ce qu'il me disait... il me tapait. il me giflait. et lorsque j'essayais de l'éviter, il me rouait de coup.
pourquoi on saigne, maman ?
pourquoi on a des bleus, maman ?
pourquoi il a fallu que les marques me rattrapent, maman ?
quelqu'un l'a su et l'a raconté. des flics sont venus à la maison. j'étais là. papa a dit que non, il ne me battait pas. moi aussi j'ai dit que c'était faux. sauf qu'ils les ont vues, les marques. alors j'ai avoué. je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ça, maman. surement que je n’aurais pas dû.
pourquoi on ne m’a pas dit qu'on allait envoyer papa loin de moi, maman ?
je me suis retrouvée au commissariat. on m'a demandé où t'étais, maman. moi j'ai dit que t'étais plus là. c'est vrai, en plus. on m'a demandé où était le reste de ma famille. en france, que je leur ai répondu. j'suis née en france, alors c'était logique. ils m'ont renvoyé là-bas, les flics. je n’ai pas trop compris ce qui s'est passé. tout ce que je sais, c'est que quelques jours après, j'étais à paris.
pourquoi je me suis retrouvée là-bas, maman ? j'étais bien à lisbonne, pourtant.
j'ai vu le jour à paris, deux ans plus tard, on venait au portugal. six ans après notre arrivée, tu t'en allais. et des années plus tard, à mes quatorze ans, c'est moi qui m'en allais. mais pas de la même façon que toi.
pourquoi ils n’ont pas compris que j'étais mieux à lisbonne, maman ?
je ne l’aime pas, ta famille. ni celle de papa, d'ailleurs. mais j'suis allée dans la tienne, sans trop savoir pourquoi.
des cathos. des putain de cathos. j'avais mon accent portugais quand je parlais français, ils ne l’aimaient pas. je rentrais toujours plus tard qu'ils ne le voulaient, ils n'aimaient pas. j'avais des bonnes notes partout, ils croyaient que je trichais. je ne voulais pas faire leur idiote de prière, ils m'engueulaient. mais eux, je savais qu'ils m'aiment. ils ne me frappaient pas, n'aboyaient pas après moi. ça, c'était bien.
pourquoi tu crois qu'on grandit, maman ?
moi je pense qu'on grandit pour être libre, pour pouvoir sentir l'adrénaline couler dans nos veines. je pense que c'est pour ça, maman. alors, j'ai grandi à paris. j'ai évolué dans cette ville. puis, un jour, il a fallu que je leur dise, à ta famille. que je leur avoue la vérité.
pourquoi ils sont aussi stricts, maman ? maintenant, je comprends pourquoi toi aussi tu t'es barrée.
ça leur a pas plus, maman. j'ai cru qu'ils allaient me taper, me gifler, comme papa le faisait. leur religion les rattrapait. ils ne m'ont pas touchée, ils m'ont juste regardée, dégoûtés. comme si je n'étais pas normale, comme si je n'étais pas comme eux. leurs yeux et les émotions qui passaient dedans voulaient tout dire.
pourquoi est-ce que j'aime les filles, maman ? j'aurais pas pu préférer les garçons, pour faire bonne impression ?
j'ai eu dix-huit ans, maman, il y a pas si longtemps. j'entendais plus trop parler de papa depuis quelques temps. je ne voulais pas retourner le voir mais d'un autre côté, il le fallait. alors je me suis dit que c'était le destin qui allait décider. je me suis barrée. j'ai quitté paris, pour revenir à lisbonne.
pourquoi papa ne s'est pas encore montré, maman ? où il est, dis ?
j'ai repris mes études. la littérature, comme toujours. j'vis comme je peux. j'ai mes amis, pas trop d'amour, beaucoup d'emmerdes. j'les cogne, les gens, quand ils m'emmerdent, mais je sais que ce n'est pas la solution.
alors je bois, comme papa.
alors je fume, comme toi.
alors je me détruis, comme j'ai si bien appris à le faire.

   

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