Encore un matin d'inspiration noire. J'y ai cru, pourtant. Mon esprit s'est réveillé au milieu d'un rêve et a regardé ce qu'il s'y passait. Après, mes mains ont eu envie de dessiner. J'ai attrapé un fusain sans m'en rendre compte et j'ai tracé les traits, sans penser à rien. C'est pire qu'une drogue, une sérénité, enfin. Mais la descente fait mal. Le dessin représentait Caelan. Le visage paisible, allongé sur un vieux matelas tout défoncé, dans un de ces squats qu'il appelle chez lui. Mais 'il semblait dormir, l'ambiance que j'avais machinalement créée ne laissait aucun doute. Allongé là, il était mort. Crevé de froid. Crevé d'une mauvaise vie.
Alors mes mains se sont mises à trembler et les larmes ont commencé à monter. Je suis allée à la cuisine, avaler des grandes goulées d'alcool. La brûlure m'a fait penser à autre chose, un instant. J'ai titubé, et je suis sortie fumer. J'ai bien du m'y prendre à dix fois avant de faire sortir une flamme du briquet. La nicotine ne m'a pas apaisée. ça fait longtemps qu'elle ne le fait plus, une fois passés les premiers émerveillements rebelles apportés par l'idée qu'on détruit sa vie et qu'on est d'accord avec ça. Ils se sont envolés dès que j'ai commencé à boire.
Je frissonne et soupire. Il fait chaud, ce matin, et pourtant j'ai froid. Je m'emmitoufle dans un grand gilet en laine, ignorant la sueur qui coule dans mon dos. Sueurs froides. J'ai peur. Pour Caelan. J'ai peur de moi. Je me reconnais pas dans le miroir, ce matin.
La voisine me fait un grand bonjour et je réponds du bout des lèvres. J'aurais aimé être comme elle : une femme forte, dans tous les sens du terme, avec un coeur qui déborde de partout. J'arrive à me laisser contaminer par son amour. Des fois, j'ai l'impression qu'elle veut me retenir, mais elle fait pas. J'aimerais, pourtant. J'aimerais qu'elle me prenne dans ses bras et me serrent contre son coeur qui bat pour le monde entier, qu'elle m'étouffe de son trop plein d'amour.
Mais je parais froide, je fais un peu peur, alors elle veut pas me brusquer et me dit juste des grands bonjour. Alors je reste là, et j'ai froid.

J'aimerais qu'elle me réchauffe.
Mais je ne suis qu'une expérience, elle dit.
Et mes expériences sont mélangées d'alcool, de cendre de cigarette et de traces de fusain qui noircissent les mains.
Il vaut mieux pas trop expérimenter, et rentrer dans le moule.
C'est ce que j'ai essayé de faire toute ma vie.