DIMANCHE 15 AVRIL 2008 - «
Lisbonne, on y est enfin ! » on venait tout juste de passer ce panneau qui indiquait que nous avions finalement atteint notre destination. Lisbonne, après vingt-deux heures de route, nous y étions enfin. Pour résumer, papa avait eu la bonne idée de déménager, quitter Londres pour rejoindre le Portugal. J'ai eu beaucoup de mal à faire mes adieux à ma petite ville, en même temps, j'y ai passé toute ma vie. Je venais d'avoir seize ans, et ce déménagement, c'était semble t-il le cadeau que l'on m'avait préparé pour mon anniversaire. Sauf que moi, je n'étais pas forcément d'accord. Je n'ai rien dit, je ne voulais pas énerver mon père, je savais combien c'était important pour lui de retrouver la ville où il avait grandit, c'était l'occasion de renouer avec le passé pour lui, en tout cas c'est ce qu'il rabâchait sans cesse. J'étais totalement adossé à mon siège. Ils étaient tous excités d'être enfin ici, excités de commencer une nouvelle vie. Moi? Je m'en moquais. Je regardais par la fenêtre, et j'observais cette nouvelle ville qui se dessinait. Du soleil, du bon temps, alors pourquoi je me plains? J'étais blasé. Je voulais sortir de cette voiture, et faire marche arrière. Mon père rajusta alors le rétroviseur et le dirigea vers moi et leva alors les yeux pour me regarder à travers le reflet de la glace. «
Souris Rob', on est arrivé ! ». Je ne pris même pas la peine de lui répondre, je soupirais un coup et continuait à regarder dehors. Ouais, super, on est arrivé. Ils riaient tous, ils étaient heureux. Je devrais être content moi aussi, mais non, rien. Mon portable dans ma poche vibre soudainement. Je le sors de ma poche et le déverouille. Puis je souris. Je souris parce que mes potes avaient pensé à moi, je souris parce qu'ils ne m'avaient pas encore oublié, et ça me rassurait. Le message? C'était une photo d'eux, tous ensemble, ils étaient tous là : Tim, Sixtine, Neil, Tess, Franklin, Emily.. tous là.
- Tu vas nous manquer, tête de con. Pense à nous, là-bas, bisous poussin.
Je le verrouillais alors à nouveau et le posa de côté. Je me sentais stupide, j'avais l'impression de les avoir laisser tomber, tous. Ils allaient me manquer, plus que tout au monde. On avait grandit ensemble, et aujourd'hui, sur un coup de tête de ma famille, nous étions soudainement séparés. Plongé dans mes pensées, j'en avais totaement oublié ma famille. Je lève les yeux. Je ne voulais pas gâcher leur moment de bonheur, alors je souriais aussi, je faisais mine que tout ces évènements m'enchantait, mais en fin de compte, j'étais le premier à subir. Sans même que je me rendes compte de quoi que ce soit, nous étions arrivés. «
C'est ici? - glissais-je à mon père » il coupa alors le moteur, et d'un geste de la main, il invita ma mère à consulter à nouveau l'adresse. Pas de doutes, c'était bien là. Nous sortîmes tous de la voiture, avec un peu de mal, la faute à ce voyage interminable et nous prîmes le temps de contempler notre nouveau chez nous. C'était pas mal. Pas mal pour une nouvelle vie en tout cas. Je pris une dernière fois mon portable dans mes mains et ouvrit à nouveau le message des autres. Et après l'avoir bien regardé, je le supprimais. J'ai eu du mal. Mais si il faut recommencer une nouvelle vie, autant recommencer depuis le début. Bienvenue à Lisbonne.
JEUDI 19 AVRIL 2008 - La cloche du lycée résonnait enfin. Il était midi, c'était l'heure de la pause. Tous les autres quittaient les salles de classes d'un pas pressé, tous se ruaient en direction de la cantine. C'était ma quatrième journée de cours depuis mon arrivée à Lisbonne, et pour être franc je ne m'étais pas encore du tout intégré. Les autres gars me prenaient pour un étranger, personne ne me parlait ou venait s'asseoir à côté de moi en cours. C'était compliqué pour moi. La seule personne avec qui j'ai eu l'occasion de parler c'était ma voisine en cours de sciences. Elle s'appellait Paola. Mais à ce moment là, je savais que ça n'irait pas plus loin, c'était le genre de fille populaire, et elle me paraissait tellement inacessible. Je rangeais alors mes affaires et prit mon sac sur les épaules avant de quitter la pièce. Je traversais les couloirs du lycée, d'un pas lent. Contrairement aux autres, je n'étais pas si pressé que ça. Je marchais tellement lentement que je pouvais sentir les regards braqués vers moi. Ils me regardaient tous. J'avais l'impression d'être un monstre. Pourtant, en Angleterre je savais que les gens me regardaient pour une autre raison, mais ici c'est tellement différent de Londres. Je pénétrais alors dans la cafétéria où tous les étudiants étaient déjà là, tous assis autour d'une table, à rire. La pièce était tellement bruyante que je ne m'entendais même plus penser. Je pris mon plateau et alla me servir comme tous les autres. Sur le chemin on me bousculait, mais je bronchais pas. J'étais nouveau, ça devait être leur façon de me souhaiter la bienvenue ici. Les tables étaient toutes prises. Je traversais la pièce à la recherche d'une pièce lorsque je remarquais une table vide. Plutôt isolée, personne ne s'était encore installé, autant que je le fasse avant. Je posais mon plateau et m'assis. Je décortiquais alors mon plateau. Rien ne me semblait vraiment appétissant. Je regrettais tellement l'Angleterre. Avec ma fourchette j'écartais les haricots de mon poisson, et la purée, j'avais envie de vomir. «
C'est bizarre qu'avec ta gueule d'ange tu sois assis tout seul. » Et sans même que je ne comprenne quoi que ce soit, elle était là. Elle m'avait rejoint et contrairement aux autres, elle avait prit la peine de s'asseoir avec moi. « C'est pas bien pour ta réputation de t'asseoir avec moi, Paola » je disais des choses que je ne pensais pas. J'étais tellement heureux qu'elle se soit assise à côté de moi. Peut-être que ça pouvait même changer quelque chose pour ma réputation à moi. Elle était là, en face de moi, avec sa casquette à l'envers, et son air de petite fille innocente. Elle était jolie, vraiment. Elle prit alors ma pomme de mon plateau et se mit à la faire rouler sur la table, comme un chat qui joue avec sa pelote de laine. Et en même temps qu'elle la faisait rouler, elle continuait à me regarder avec ses yeux qui me donnaient envie de lui faire des bébés, ici, tout de suite. Puis, elle m'a sourit. Et j'pourrais jamais oublier son sourire, c'est le genre de truc qui vous marque pendant toute votre vie. «
M'en fout de ce qu'ils pensent. J'suis pas comme eux. » je lui rendis son sourire, et continuait à faire des cercles avec ma fourchette dans mon assiettte. Je pouvais pas la croire. C'était impossible de la croire même. «
C'est quoi ton nom déjà? » «
Swaton. » puis, sans que je ne comprenne quoi que ce soit, elle se mit à rire. C'est mon nom qui la faisait rire? C'était un peu vexant, sur le coup. «
Mais non crétin, ton prénom! » elle avait cessé de faire rouler la pomme. Elle l'avait gardé en main depuis quelques minutes maintenant, et d'un air provocatrice, elle la croqua devant moi. Elle était encore plus belle que d'habitude, c'était bizarre. Je riais avec elle. «
Robin. » on avait eu l'occasion de parler que quelques secondes en cours. On avait pas vraiment eu le temps de faire les présentations. Son nom, je le connaissais seulement parce qu'il était écrit sur sa blouse. Avant ça, elle ne connaissait pas le mien. Mais maintenant, elle le connaissait. J'avais bien avancé, bien progressé. Autour de nous, j'avais l'impression qu'il n'y avait plus personne. Les bruits s'étaient comme estompés au fur et à mesure que j'oubliais, et tout ça grâce à elle, grâce à Paola. Pour une fois depuis mon arrivée, je souriais, je riais, je passais un bon moment. P'têtre que ma nouvelle vie n'avait pas si mal démarré que ça. «
C'est joli comme prénom. Ça te dirait de sortir ce soir, Robin? » ouais. Ma nouvelle vie avait bel et bien démarré. La cloche sonnait tout à coup la fin de la pause. C'était l'heure de retourner à la réalité, les cours et tout ça, les autres. Mais avant qu'elle ne parte, je la regardais tout sourire, j'étais heureux. «
Ouais.. ouais, avec plaisir.. Paola! » «
Cool, à ce soir alors. » à ce soir.. elle me fit un signe de la main et elle tourna les talons dans la seconde qui suivait. Elle était partit rejoindre ses amis, mais elle avait quand même prit le temps de me faire un signe de la main avant de s'en aller. J'attendais qu'elle ait quitté la pièce pour exploser de joie. Je sautillais sur place, levais les bras en l'air, j'avais l'impression d'avoir gagné au loto, sauf que là, le prix était tout aussi beau. Ce soir, j'allais revoir Paola, juste elle et moi, nous deux.
SAMEDI 06 JUIN 2008 - Il était un peu moins de vingt-deux heures. Plus un chat dans les rues. La pluie était forte ce soir-là, tous les gens s'étaient empressés de rejoindre leurs maisons. Tous, sauf moi. J'étais seul dans les rues, sous la pluie à attendre que les minutes défilent, que les heures passent. Face à ce mur, ce mur que j'avais tellement usé à force de le taguer, de le pourrir de citations, de noms, de visages, mais c'était devenu mon mur, celui sur lequel je deversais ma colère, ma haine. Et aujourd'hui encore, un espace vide du mur allait se remplir d'un nom ou d'un visage. Je ne savais pas quoi taguer, je le fixais depuis une bonne heure maintenant, à attendre que l'inspiration me vienne, mais rien. J'avais envie d'une cigarette, mais sous cette pluie c'était compliqué. Le paquet dans ma poche devait certainement avoir bien prit l'eau après le temps passée sous la pluie. Elles devaient être bonne à jeter. J'avais ma musique dans les oreilles, le son à fond, car si j'ai pensé un temps qu'il n'y aurait plus que Paola et moi au monde, aujourd'hui, je sais qu'il n'y a que moi, et seulement moi. Je retirais alors le bouchon de ma bombe à tag et m'apprêtait à recouvrir à nouveau le mur quand une main se déposa sur mon épaule. Brusquement, je me retournais et tombais nez à nez avec elle. Elle était là, sous la pluie, sa capuche sur la tête pour se couvrir. Elle me regardait, avec une certaine culpabilité dans son regard. Je ne voulais même pas la voir. Immédiatement, je me retournais à nouveau vers le mur, mais têtue comme elle est, elle insistait. Elle me retira les écouteurs et se mit face à moi, je ne voulais pas lui adresser la parole, je me l'interdisais, elle avait tellement bien joué. «
J'suis désolé, Rob, je sais que j'ai déconné » d'un geste de la main je la repoussais. Je ne me reconnaissais même plus. Je l'avais poussé si fort qu'elle tomba par terre, dans une flaque. Mais il n'y avait personne pour la regarder, pour la voir se faire humilier, elle aussi. Elle restait là, assise à me regarder, elle ne bougeait plus. «
Rob, s'il te plaît ». Quand je daignais enfin à la regarder, elle remit ses cheveux en place, se releva et tapa son jean pour essuyer la boue. «
Casse-toi, je ne devrais même pas te parler, tire-toi de là. » j'étais en colère. J'avais envie de tout casser, d'exploser. Mais je me retenais, je me contenais car je savais que c'était inutile. Et le temps n'arrangeait pas les choses, la pluie devenait de plus en plus forte, et elle s'abattait sur nous deux. Mais, ni elle, ni moi n'avons daigné à bouger d'une centimètre. Je lui avais dis de partir, de s'en aller, mais elle ne voulait pas. Elle s'approcha de moi, et me prit la main. Je me retirais immédiatement et recula d'un pas. «
Okay, j'ai merdé, j'aurais pas dû, mais on fait tous des erreur Rob, je suis désolée. » elle baissait la tête. Elle avait honte et j'comprenais le fait qu'elle éprouve enfin un peu de honte. Pour elle, ça devait être la première fois, habituée à vivre dans le confort total, la petite fille qui ne manquait de rien. «
Rob, j'suis amoureuse de toi. Et même si tu peux penser que je me fous encore de ta gueule, c'est pas le cas, j'te le promet. J'ai rien vu venir, sans même que je m'en rendes compte, j'étais vraiment tomber amoureuse de toi, Rob, s'il te plaît. » Je pris mon sac au sol et la regarda une dernière fois. Elle était minable. J'étais sûr qu'elle se foutait encore de moi, qu'au fond, c'était encore un jeu pour elle, qu'elle n'en avait rien à foutre de nous deux, elle jouait encore, moi j'avais déjà arrêté depuis un moment. Je rangeais mes bombes et finalement, sans même lui adresser un mot de plus, je m'en allais. Je lui avais tourné le dos, j'étais déjà partis. Je n'avais plus rien à faire ici. Elle m'interpellait, encore et encore, mais c'était peine perdue, je ne me retournerais plus, pas pour elle en tout cas.
MERCREDI 08 JANVIER 2014 - Six années se sont écoulées depuis. Et, ça faisait maintenant six années qu'avec ma famille nous avions emménagés ici, à Lisbonne. Les années m'ont parut longues, interminables. Mais même si ça faisait six ans, je n'avais pas oublié Paola pour autant. Je lui en voulais toujours, mais je n'avais jamais cessé de penser à elle, d'éprouver des tas et des tas de choses pour elle. Mais au final, tout ce qu'elle a finit par faire de moi, c'était qu'un gamin sans coeur, qui joue, et qui joue, sans éprouver le moindre remords, et qui continue, jours après jours, à coucher à droite à gauche, à sauter la moindre fille qui ne serait pas insensible à son charme. Plus de sentiments, l'adolescent stupide et naïf que j'étais, était mort. Pour preuve, je l'avais moins même enterré, et je me suis sentis bien. Je n'avais plus eu de nouvelles de Paola, et c'était tant mieux. Moins j'entendais parler d'elle, plus j'avais de chances de ne plus y penser. J'avais encore rendez-vous avec Filipe, un psy. Pas que je sois fou, mais on m'y avait obligé, la faute à une bagarre, une seule à cause d'une soirée au bar un peu trop arrosée. Depuis, ils m'ont jugé fou, et tout est prétexte à m'envoyer chez un psy. Une minute à peine que j'étais dans le bureau, assis sur un fauteuil, en face de lui, à attendre que les minutes passent, à m'emmerder ici. Il me fixait du regard, avec son air fourbe. C'était la deuxième fois qu'on se rencontrait lui et moi. La première séance était tellement barbante. Il me posait des tas et des tas de questions, parfois même quand je ne connaissais pas la réponse il me poussait à chercher un peu plus loin. On avait évoqué la bagarre, et puis un tas d'autres trucs, puis on s'était laissé là. Il avait son carnet sur lequel il écrivait pleins de trucs, le fait est, que le rendez-vous venait à peine de débuter. Qu'est-ce qu'il pouvait bien écrire? J'étais adossé au fauteuil, à attendre qu'il me parle. Je sifflotais un petit air des Beatles, histoire de rendre la scène plus amusante. Mais, d'un geste de la main, il m'invita à arrêter. Je le fis. Puis, il se redressa, et enfin, on put commencer. «
Selon les dires de vos proches, vous avez changé depuis votre arrivée à Lisbonne. Qui est à l'origine de votre changement, monsieur Swaton? » je basculais ma tête en arrière et soupirais. Même si ça venait à peine de commencer, cette séance me blasait déjà. «
Je n'ai pas changé. » «
Si vous avez changé. D'un garçon calme, vous devenez un adulte turbulent, qui finit ses soirées à se battre, à se saouler, et à finir au poste de police. Vous voyez, vous avez changé. » j'avais envie de lui faire un doigt, de lever mon putain de majeur en sa direction et de l'inviter à aller se faire foutre. Mais, force est de constater que j'étais obligé de lui donner raison. Je refusais de me l'avouer à moi-même, mais ouais, j'avais changé, d'une manière ou d'une autre. «
Donnez-moi un nom, une date, une histoire. » je baissais la tête, et me tournait les pouces. Je n'avais pas envie de parler de Paola, surtout pas ici. Je ne voulais pas passer pour un faible, le genre de mec qui se fait baiser par une meuf et pas l'inverse. J'avais envie d'oublier Paola, mais je ne pouvais pas me mentir plus longtemps. Je regardais le psy, il semblait tellement attentif. D'un geste de la tête, je comprenais qu'il tenait réellement à tout savoir. Je me grattais alors la tête et fit la moue. Puis je me redressais, et comme à mon habitude, je regardais dehors. «
Elle s'appelle Paola. C'est le genre de fille qui vous fait de l'effet dès le premier regard, vous avez déjà connu ça, c'est certain. - et sans même m'en rendre compte, je me mis à sourire - c'était la première personne à venir me parler quand personne ne le voulait. Elle m'a apprit à vivre comme les autres lycéens portugais. Elle m'a apprit à devenir libre et insouciant. Je l'ai aimé. » il continuait à prendre ses notes lorsqu'il remarqua que je m'étais arrêté. «
Et? » je secouais alors la tête pour me ressaisir et reprendre mon histoire. La suite était beaucoup moins poétique que le début, malheureusement. Je me cachais la vérité à moi-même parfois, je ne voulais pas partager cette histoire avec quelqu'un d'autre. Mais en un rien de temps, alors que je le détestais, il était parvenu à me mettre en confiance, alors je continuais «
Et en fin de compte, elle s'est foutue de ma gueule. Elle jouait. En faite, elle avait parié à ses copines qu'elle parviendrait à me couiller, à me faire croire qu'elle m'aimait, qu'elle était différente des autres. Putain, elle a réussit, elle m'a bien baisé. Après, elle est revenue. Elle m'a dit qu'elle m'aimait réellement, que le jeu avait finit par prendre une autre ampleur. Mais à ce moment là, j'en avais plus rien à faire d'elle. » après avoir terminé, je me levais du fauteuil et prit mon pull dans les mains. Je me dirigeais vers la porte, je n'avais plus envie de poursuivre la séance, je n'avais rien à faire ici. « [color=forestgreen]Où allez-vous?[color] » «
Je m'en vais. » il ne me retint pas, je fus le premier surpris. Au contraire, avant que je partes, il m'interpella une dernière fois «
Très bien. Alors à demain, monsieur Swaton. »
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