Juda Llewellyn, vingt ans, frère.
« Eden, c'était les bonbons discrètement dissimulés sous l'oreiller, les histoires le soir avant de dormir. Le guide qui ne m'oubliait jamais dans ses excursions dans la vieille Lisboa, qui essayait de m'apprendre le portugais avant même de le parler correctement. Il m'a énormément manqué pendant ses années d'absence. Je lui en veux, de s'être enfui de la maison comme un voleur, comme un lépreux. Bien sur, il m'a envoyé des centaines de lettres, mais pas un coup de fil, pas une adresse pour lui répondre. Je crois qu'il n'en pouvait plus de la pression permanente sur ses épaules à la maison, entre papa qui ne cessait de le harceler pour faire de lui le futur... je ne sais pas, roi de l'univers ? Et puis, il y a eu cette histoire de coeur je crois. C'était lâche de sa part, de préférer le bout du monde à la lutte des sentiments. C'était mon héros, mon superman, et je me suis retrouvé tout seul à la maison, avec son fardeau sur mes épaules. »

Isaac Llewellyn, cinquante quatre ans, père.
« Ah, Eden. J'ai placé de grands espoirs dans ce petit voyou. Il ne rapporte que des déceptions depuis qu'il est adolescent, malgré tout ce que sa mère et moi avons fait pour l'éduquer au mieux. Ingrat. Mais je sais qu'un jour, il reviendra dans le droit chemin. Il faut bien que jeunesse se passe. Dès qu'il cessera ses lubies décadentes, ces histoires avec des hommes, ces études absurdes, il peut compter sur moi pour lui trouver une place dans l'entreprise, ou le renvoyer dans une bonne école de médecine. En attendant, Juda a intérêt à ne pas suivre les pas de son grand frère, une graine de voyou dans la famille, c'est bien assez. »  

Vera Llewellyn, quarante sept ans, mère.
« Mon bébé. Mon autre bébé, avec Juda, bien sur. Précieux trésor. Toujours à faire des bêtises, mais c'était un ange. Il ne donne plus beaucoup de nouvelles maintenant qu'il vit seul, c'est vrai. Son père a été très dur avec lui, mais c'était par amour, et Eden est un garçon sensible, avec des réactions démesurées, un vrai comédien. Il est devenu secret et sombre, un peu violent même, pour se protéger du monde extérieur. Je n'ai jamais vu quelqu'un être à ce point blessé par le simple fait d'exister. Il rend les coups, mais contre quoi, je n'ai jamais su. »

Nina Laranjeira, vingt et un ans, conquête d'un soir.
« Les étudiants étrangers en échange à São Paulo, c'est un peu toujours les mêmes. Prêts à profiter de l'éloignement avec les familles, de la folie des nuits agitées de la grande ville et du Brésil. Eden n'échappait pas à la règle, mais lui, on avait l'impression qu'il essayait de fuir quelque chose, et il ne parlait jamais de lui. Il parlait de Londres avec des étoiles dans le coeur, il me semble qu'il avait un frère, mais c'est tout ce qu'on a pu savoir de lui en trois ans. Ce mec, c'était une page blanche qui s'écrivait à l'encre du soleil brésilien. Le plus étrange, c'est peut-être que lui si plein de vie et de sourire blancs éclatants, quand il croyait que personne ne faisait attention à lui, avait soudain les yeux pleins de brumes. Une nuit, il s'est glissé dans mon lit, sans douter une seconde que je l'accepterais là. Après ça, rien n'a changé, il était toujours le même, une étoile filante qui brule tout sur son passage, indifférent aux ravages qui restent dans son sillage. »

Luís Medeiros, vingt quatre ans, ex copain.
« Eden, c'était un ouragan. Ses sautes d'humeurs étaient impossibles à suivre. Certains soirs, il voulait sortir, vivre à cent à l'heure, faire l'amour, danser jusqu'à ne plus sentir ses muscles, courir et prendre des bains de minuit, faire exploser chaque parcelle de lui jusqu'à l'épuisement, jusqu'au coma qui le fauchait en pleine course. D'autre soir, il restait simplement roulé en boule sous les draps, refusait que je le touche, que je lui parle, que je le regarde. Une relation avec lui, c'est être toujours perdant. Il exige des autres le monde, mais il est incapable de rendre quoi que ce soit. C'est l'être le plus égoïste que je connaisse, et pourtant il est impossible de lui résister. C'est la lumière qui attire les papillons, même si on sait qu'on va s'y bruler les doigts. Ça vaut le coup, pendant un temps. On ne s'ennuie jamais, il a toujours milles idées plein la tête, des projets fous et une énergie inépuisable. Jusqu'à ce que quelque chose le rattrape, quelque chose qu'il n'a jamais voulu partager. »

   

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