y a deux versions de mon histoire, de ma vie.
celle que je raconte aux gens, que j'veux bien leur dire.
et la vraie. celle que j'garde pour moi, la douloureuse.
qu'est-ce que tu veux que j'te dise? j'suis comme ça, c'est tout. j'parle pas beaucoup de moi. j'garde pour moi. j'partage pas.
l'égoïste.
c'est ma vie, ça t'regarde pas.

« voilà, j'suis d'amara, mon père est en taule depuis que j'suis genre.. un môme. ma mère est une junkie, elle vit avec son mec, son dealer au passage. un gros con. j'vivais avec eux, enfin, vivais.. je survivais. une horreur. j'me suis battu un nombre incalculable de fois avec son mec. puis y a trois ans, j'me suis barré. j'en ai eu marre alors j'suis venu ici. et m'voilà, dans ma caravane. et j'suis bien mieux comme ça. cool, non? »

tu veux la vraie version, maintenant?
j'suis bien d'amara, ouais. mon père est bien en taule depuis que j'suis un môme.
et ma mère, elle, est bien une junkie. son connard de mec est bien son dealer.
ouais, pendant des années on s'est battus. ma mère? elle m'a jamais défendu.
ils ont même eu une fille ensemble, ces cons. mais j'l'aime, elle. c'est ma princesse.
tu veux savoir l'vrai truc? j'me suis pas cassé, y a trois ans. c'est eux qui sont partis. elle s'est tiré, avec son dealer et leur fille. elle m'a laissé sur place. y a plus assez d'argent pour une quatrième bouche, simão. mais je t'aime. mais débrouilles-toi. t'es un grand garçon, tu t'en sortiras. connasse. j'suis resté un an sur place sans savoir quoi faire.
maintenant, maintenant quoi?
maintenant, j'ai peur.
j'ai peur de tout, j'ai peur de rien.
j'ai peur de m'faire abandonner encore, alors casses-toi, restes pas trop longtemps avec moi.
t'façon, si tu t'accroches, c'est moi qui te dégagerais.
y a qu'le crew qui reste. toujours.
j'leur fais confiance.
assez pour les accepter envahir ma vie, ma caravane.
pas assez pour leur dire ma vraie histoire.
mais plus encore, j'ai peur pour ma princesse.
j'ai peur qu'il lui arrive des sales choses, avec ces deux irresponsables.
j'veux la récupérer.
j'saurais m'en occuper, moi.
alors voilà à quoi j'passe mes journées. essayer d'la retrouver. essayer d'me trouver un boulot stable. quelque chose. un truc suffisant pour pouvoir aller voir les assistantes sociales et dire « cette connasse qui prétend être sa mère, cet enculé qui prétend être son père, sont des accrocs au crack, trempent dans des affaires louches. ils n'peuvent pas lui donner un environnement stable. mais moi, j'peux. »
et là, faut que j'me dépêche.
elle a déjà quatre ans, ma princesse.
vite, vite.
l'heure tourne.