Un pas, un autre. Une mèche derrière les oreilles que je rabats en vitesse. Un claquement de chewing-gum dans ma bouche, le goût mentholé qui se diffuse. Des gens me bousculent, je lève les yeux au ciel mais je me tais, pour une fois. Les mains dans les poches, les écouteurs coincés là où il faut, du Lana del Rey plein la gueule, je marche dans les rues bondées de Lisbonne. Le soleil tape fort depuis ce matin, et franchement, il fait une chaleur à crever, il fait chaud. Bien trop chaud pour que le temps soit agréable. L'humidité de la ville me prend aux tripes et me les retourne. J'trépigne, j'grogne, j'm'énerve toute seule. Je ne me sens pas tellement bien, la chaleur m'a rendue rouge. Et je dois faire peur à voir, avec ma transpiration apparente. J'avais pas cours, aujourd'hui. Même mon patron m'a dit de ne pas me pointer au club, ce soir. Du coup, j'ai rien à faire. Oz n'était pas là, cette après-midi. Il a dû sortir, sûrement. Ou alors, il est allé claquer tout son fric dans je-ne-sais quel coin de riche de la capitale. J'observe les rues, je suis chez moi dans quelques minutes. Un sourire éclaire mes lèvres, je rêve de rentrer dans ma baraque, de me poser dans mon lit, un bon bouquin à la main, et de dormir. Mais je sais que je n'arriverais pas à dormir à une telle heure, il est trop tôt. Alors je pousse la porte de mon appart', je pose mes clés, mon sac, mon portable, et je file sous la douche. Propre, fraiche, je me coiffe et me fais toute belle. J'enfile un pull gris, ample, un mini short en jean et des tennis grises. J'me parfume, j'me maquille. Je cours au miroir. Ça va, présentable. Je m'assois sur un pouf, j'attrape mon portable et je réfléchis. Que faire ? Il est vingt heures, j'ai toujours pas mangé mais j'suis prête à sortir. Faut bien faire quelque chose. Mon coeur bat quand je déverrouille mon smartphone et que je consulte mes derniers messages.  
Marilhéa.
J'attrape mes affaires, mes clopes, mon blabla. Je sors de chez moi et je saute dans ma voiture. J'ai trop marché aujourd'hui pour encore marcher jusqu'à chez elle. Je connais le chemin par coeur, bien que je ne m'y sois pas rendue souvent. C'est parce que c'est Maril, aussi. Elle est unique, cette fille. Je roule, je roule, je roule. J'arrive quelques minutes plus tard chez elle. Je m'observe dans un rétroviseur. Bien, parfait. Je me gare, je sors et je vais sonner.
Dis moi que t'es là, Marilhéa. J'ai envie de te voir, moi.

Je me demande pourquoi je suis venue ici, en fait. Non mais sérieusement, qu'est-ce que je fous, là, moi ? J'aurais dû appeler Oz ou Neves, on serait allés en ville. On aurait bu, aussi. Surement. On aurait même fumé, s'il faut. J'aurais profité du fait de ne pas avoir de boulot à faire. Ç'aurait tranquille, habituel, c'aurait été dans ma routine. Ce programme était génial, putain ! Je sais que la majorité des individus de cette planète aiment le changement. Ils ne supportent pas d'avoir toujours la même chose à faire, encore et encore. Ils ont peut-être raison, mais moi, en tout cas, j'aime bien la routine. Le genre de routine ponctuée d'un ou deux évènements marquants mais qui permettent de garder une vie stable. Vous comprenez, quand on a vécu ce que j'ai vécu, les bonnes habitudes sont vues comme une bénédiction. Faut dire aussi qu'elles n'arrivent pas souvent. Alors quand elles s'avancent vers moi, je les prends, j'les attrape et je ne les lâche plus. Marilhéa n'entre pas dans la catégorie des habitudes, il faut dire. Elle est une sorte d'exception à ce que je suis d'habitude. Avec elle, je perds mes repères. Au sens propre. La preuve, j'ai débarqué chez elle sans prévenir.
J'entends quelqu'un crier. C'est sûrement elle. Il n'y a que cette fille pour crier comme ça dans sa propre maison. La porte s'ouvre. Je lève la tête. La première chose que je vois, c'est un billet de vingt. J'comprends pas, elle a cru que j'étais venue livrer des pizzas ou bien comment ça marche ? J'suis paumée, je cherche parce que on me tend de l'argent. Lorsque je relève la tête pour lui demander, je m'aperçois qu'elle est nue. Entièrement. Totalement. Y'a pas une once de vêtements sur son corps. Elle ouvre la bouche. Elle attendait des pizzas. Ok, j'suis médium, c'est officiel. Une moue déçue passe sur son visage, j'essaye d'ignorer son corps dénudé et je la regarde droit dans les yeux. J'mets tous les sentiments du monde dans mon regard. J'voulais pas te décevoir, Marilhéa, tu sais. Je n'veux que t'aimer moi. J'me demande si elle m'en veut. On ne sait jamais, avec elle. Puis soudain, elle m'entraîne dans son palace et me plaque un baiser contre les lèvres... réflexion faite, elle ne m'en veut pas. Tant mieux, j'étais pas là pour ça. Elle est devant moi, alors je l'observe. Je la détaille. C'est humain, après tout, de profiter de la vue de courbes si parfaites. Putain qu'elle est belle. J'ai envie de plaquer mes mains contre ses hanches, de l'attirer contre moi. Je rêve d'enlever mon pull, de retirer mon short, de sentir sa peau nue contre la mienne. Je veux qu'elle m'embrasse dans tous les recoins de mon corps, je veux goûter à chaque parcelle de sa peau sucrée... Au lieu de ça, je la retiens quelques secondes par la main, je m'avance vers elle et je lui chuchote à l'oreille : « T'es belle, Maril. » Par la suite, elle me parle. Elle se lance dans un monologue effréné dont elle seule a le secret. Ça m'amuse, à dire vrai. Je ne cherche pas à répondre, parce que je sais à l'avance que c'est peine perdue. Je la connais, quand même, vous croyez quoi !
Puis elle s'en va. Comme ça. Elle me laisse seule dans son immense maison. Il me faudrait surement un plan pour essayer de la retrouver. Je m'avance dans la direction où elle est partie et je crie, absolument certaine qu'elle m'entendra. « La piscine, ça me plairait bien ! Sauf que, j'ai pas de maillot... » Et j'suis pas une nudiste, moi. J'aime les fringues.