Il arête la voiture et je relève enfin ma tête, on est en plein milieu d'un parking. Je pose ma tête contre de dossier de mon siège et je regarde Mickey, assis à côté de moi, il fixe l'horizon. Je me souviens d'il y a quelques années, quand on passait notre temps à jouer aux jeux-vidéo et à fumer sans s'arrêter pendant des journées entières. Il est beau comme ça. Je prends une gorgée de la bouteille de Jack Daniel's posée entre mes jambes et je sors de la voiture. Je suis plus bourré que j'aimerais l'admettre. Summer 68 des Pink Floyd passe à radio et je me mets à tourner sur moi-même dans le parking. Le vent froid de la nuit fait tomber mes cheveux sur mon visage, ils sont trop longs, comme la plupart des adolescents, ils sont trop longs. Il fait probablement froid, mais l'alcool dans mes veines m'empêche de le ressentir.

Les guitares à la radio s'enflamment et je dance encore plus qu'avant. Enfin, danser est un bien grand mot : disons que je tourne sur moi-même avec les bras dans les airs pour essayer de garder mon équilibre. Je "dance tout le temps, quand je suis bourré. Les feux avant de la voiture m'éclairent et je dois ressembler à une biche en pleine forêt avec mes yeux qui brillent dû à la lumière. Je m'arrête pour regarder Mickey, mais la lumière m'empêche de le voir, alors je me tourne vers la lune. Je dois ressembler à rien, comme ça, la tête levée vers le ciel, mes énormes cernes sous les yeux et mon manteau trop grand pour moi. C'est celui de mon père, il me l'a passé il y a 3 ans, avant de m'envoyer vivre ici avec ma mère. Les joies du divorce, vraiment. Les Floyd finissent leur chanson et je me retrouve seul, avec comme seule compagnie le bruit du vent et le moteur de la voiture. Je finis la bouteille cul sec et ma gorge brule. Je me souviens de la première fois où je me suis retrouvé bourré, j'avais 16 ans et c'était dans un bar glauque de Brooklyn, le genre qu'on voit dans les vieux films noir des années 50, je venais de baiser pour la première fois dans les toilettes, pendant que mon père parlait avec ses collègues.

Je me sens con comme ça, coincé entre la lumière de la lune et celle de la voiture, une bouteille vide dans ma main. Je regarde ma montre, il est 3 heures du matin, j'ai encore désobéit ma mère qui m'avait dit de rentrer pour 22 heures. Je vais encore devoir trouver une excuse, m'enfin ça devient une habitude. Je vais rester ici toute la nuit je pense, si je rentre bourré et que mes voisins me voient, c'est une mort en sursis pour moi : les rumeurs vont vites dans mon quartier. Pour eux, si on est bourré un soir, le lendemain on est prostitué et sous methamphetamine. Je continue à avancer jusqu'à ce que le béton se transforme en herbe et je lâche la bouteille, mais elle ne fait pas de bruit, son choc est amortit par le sol. J'enlève mes chaussures en les poussant au loin et j'avance pied nu. Je suis loin de la voiture maintenant, je n'entends même plus le bruit du moteur. Je ne pense même pas Mickey s'est rendu compte que je suis parti, ou il s'en fout peut être je ne sais pas, il est bizarre par moment. Je suis en plein milieu d'un parc, je ne contrôle même plus mon corps, marcher droit me demande un grand effort, jusqu'à ce que j'arrête d'essayer. Ma tête mange se mange le sol, mon nez en premier, qui se met à saigner immédiatement. Ce n'est pas la première fois qu'il est cassé, mais la première fois que c'est pour une raison aussi conne. Je me suis retrouvé dans tellement de bastons que je ne les compte plus, que ce soit ici, ou à Brooklyn. C'était même mon activité préférée, avec dormir, quand j'étais au lycée et vu que je n'étais pas musclé et que je ne savais pas vraiment me battre, je me prenais souvent des raclés dans la face. Je me suis même pris un coup de couteau dans le ventre un jour, passage aux urgences et tous, la totale. Les maisons qui entourent le parc sont toutes éteintes, comme si personne ne vivait dedans.

Je reste là, complètement incapable de bouger, je pense même que je me suis pissé dessus, mais je ne suis pas sûr. Je me mets à rire comme un con tout en essayant de ne pas aspirer mon sang. Mickey arrive, les mains dans ses poches et un joint dans la bouche. Je peux voir dans son regard que je lui fais pitié et ça me fait rire encore plus. Il m'attrape par la taille et me fait passer par-dessus son épaule. Le choc du mouvement me donne envie de vomir, mais je me retiens pour ne pas relâcher mon estomac sur sa chemise. Quand on est de retour à la voiture, il me jette sur la banquette arrière et il se met à rouler.
 
Je me souviens quand on avait 17 ans, on c'était amusé à lancer des cailloux sur les animaux et la voiture qui passaient et on avait touché un chat en pleine tête. On l'a regardé mourir et ça prenait un temps fou, bien plus que ce qu'on voit dans les films. Je me sens comme ce chat , à agoniser allongé sur mon dos. Mon nez me fait réellement maintenant, mais je n'arrive pas à bouger et je suis recouvert de vomi. Je regarde Mickey conduire, avec ses sourcils froncés et sa cigarette entre les lèvres. Il est australien, sa famille a déménagé ici quand il avait 9 ans, il a toujours son accent quand il parle anglais, ça me fait rire à chaque fois. « Barry ? » il dit avec une petite voix « Ça va ? » J'essaye de lui répondre, mais seulement un grognement sort de ma gorge. Il arrête la voiture et je me redresse pour regarder le soleil se lever au loin. Mickey joue avec un couteau à cran d'arrêt qu'il ouvre et referme frénétiquement. Honnêtement si un jour on m'avait dit que je finirais recouvert de pisse avec le nez cassé dans la voiture de mon meilleur -et seul- ami, je n'y aurais pas cru. Petit à petit, je m'endors, la tête contre la vitre. Dans mon dernier instant d'éveil, je remarque Mickey qui plante frénétiquement le tableau de bord de la voiture avec le couteau.

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